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ORANG-OUTAN

Dernière mise à jour : 11 juil.

Il s'agit d'une nouvelle écrte en réponse au concours organisé par LIBRINOVA et parrainé par Mélissa De Costa.

Concours de nouvelles avec Mélissa da Costa !


Découvrez la sixième édition du concours de nouvelles organisé par Lire Magazine Littéraire et Librinova, et marrainé par l'autrice à succès Mélissa da Costa !

Voici le défi qu’elle a imaginé pour vous : commencer votre nouvelle par l’incipit « Courir sur la plage, à l'aube, accompagné du vol des goélands était un plaisir absolu que rien ne pouvait gâcher, ni la pluie, ni les rafales, mais ce matin, son pied buta contre un objet à demi enseveli dans le sable qui faillit l'envoyer au tapis : une bouteille en verre à l'intérieur de laquelle se trouvait une lettre jaunie. »

Voici les consignes du concours :

  • Rédigez une nouvelle inédite d'une longueur de 12000 à 16000 signes.

  • Utilisez la phrase d'incipit proposée par Mélissa da Costa en début de votre texte.

  • Tous les genres littéraires sont possibles : romance, science-fiction, polar, conte, etc.

  • Les participations sont ouvertes du 7 avril au 1er juillet 2023.

  • Les nouvelles seront évaluées par un jury composé de professionnels de l'écriture, sur la qualité de la plume, l'originalité de l'histoire et la cohérence du récit.

Ce concours est une occasion de donner vie à votre passion pour l'écriture, de partager vos histoires et de vous mesurer à d'autres auteurs talentueux. Nous avons hâte de découvrir votre plume et votre imagination. Laissez libre cours à votre créativité, et bonne chance !





« Courir sur la plage, à l’aube, accompagné du vol des goélands était un plaisir absolu que rien ne pouvait gâcher, ni la pluie, ni les rafales, mais ce matin, son pied buta contre un objet à demi enseveli dans le sable qui faillit l’envoyer au tapis : une bouteille en verre à l’intérieur de laquelle se trouvait une lettre jaunie. »

Il grogne en se penchant pour renifler le goulot. Plus aucune odeur n’en parvient pour lui distiller l’histoire de ce flacon. Il a probablement dû abreuver un pochtron pour qu’il l’oublie en lieu aussi inconvenant. Incapable de réprimer son instinct, il passe furtivement sa langue dessus. Cruelle déception. Pas la moindre réminiscence de saveur sucrée. Juste le goût du sel mélangé à celui des œufs pourris. Saloperie cette verdure qui pue et qui recouvre la moitié de la plage. En plus de compromettre son flair légendaire, elle l’oblige depuis des semaines à louvoyer pour ne pas risquer de s’intoxiquer. Voilà qu’aujourd’hui, ça l’a conduit à trébucher. Les mouettes commencent à ricaner tournoyant de plus belle au-dessus de sa tête. Certaines tentent même quelques piqués et le frôlent pour mieux épier ce qu’il fabrique. Étrange qu’il reste scotché au milieu de ce nulle part ! Ne scruterait-il pas le sable à la recherche des extrémités nacrées d’un délicieux solen ? Pour ces oiseaux hors de question de lui abandonner l’aubaine du moindre couteau d’autant que ce mollusque grégaire se planque souvent en troupeau. Le voilà occupé à gratter frénétiquement la plage. Les gerbes qu’il projette à la périphérie atteignent les stupides volatiles et les empêchent d’approcher du cœur du cratère où l’éclat qui brille et les intrigue n’est bien sûr que ce verre qu’il convoite. Pourtant l’acuité jalouse de leurs petits yeux éblouis par ce reflet trompeur n’a pas perçu en transparence le tube de papier jauni par le temps qui est ce qui l’intéresse là-dedans. Quel mystère peut donc ceindre le bleu délavé de cette faveur qui retient le papier et lui évoque sans qu’il les comprenne de lointaines impressions ? Comment cette ampoule fragile a-t-elle pu braver impunément les éléments, l’oubli et les ouragans pour venir défier son entendement ici, à quelques encablures de la docte cité de Balançon dont lui-même ne s’est jamais beaucoup éloigné plus avant que ce bord de mer sous la falaise. Encore plus bizarrement, il découvre presque au même instant que se profilent sous le culot verdâtre quelques phalanges blanchies dont une sertie d’une bague en or.

— Pythagore, Pythagore. Mais qu’est-ce que tu fabriques encore ?

À l’énoncé de son nom, le griffon cesse d’asperger de sable tout ce qui l’entoure et se relève d’un bond. Avant que son maître essoufflé qui s’approche en trottinant n’ait le temps de l’attraper, il saisit dans sa forte gueule le précieux contenant et part comme s’il était ivre en zigzagant entre les taches émeraude de l’algue en décomposition. Tant pis pour cette paluche qui vient de luicédersa bouteille. Ces os lui semblaient de toute façon fossilisés, largement périmé et sans plus aucun croquant. Héraclius s’en dépatouillera bien. Après tout, chacun son butin. Ce trophée lui revient. Depuis une ribambelle de générations à travers leurs deux illustres lignées, leurs duos d’ancêtres successifs ont appris à se considérer différemment et à sortir de leurs positions respectives. Leurs chemins d’humain et de chien se croisent toujours curieusement sans se recouvrir. Cette prévenance mutuelles’origine dans un précieux manuscrit « métempsycosiste » qu’à chacun d’eux, on a dit détruit et à tout jamais perdu. Ni l’un ni l’autre ne s’en souvient précisément mais c’est à cause de celui-là qu’ils ont encore de grave tête à tête au coin du feu, chacun cherchant à surprendre dans l’œil de l’autre les mystères de la concaténation de leurs respectives existences antérieures qui les poussent malgré eux à s’apprécier et ne jamais se quitter. Programmation o combien plus mystérieuse et complexe que chacun d’eux ne pourraitl’imaginer !

Le docteur Gloss incrédule penche vers la cuvette sableuse que Pythagore vient de délaisser, ses petites lunettes cerclées d’or. Au centre, telle une araignée de mer incongrue, le squelette pétrifié d’une main gauche brandit vers le ciel des doigts entrouverts qui rappellent ceux d’un poilu de Verdun surpris par un obus de mortier alors qu’il levait du fond de sa tranchéeson verreà la santé de sa fiancée. L’annulaire porte une grosse chevalière dont il découvre en se penchant plus qu’elle semble armoriée. Diable ! Serait-ce celle d’un fils aîné de digne et savante famille de Balançon disparu dans un lointain passé ? Voilà qui aiguise sa curiosité. Il n’est pas pour rien le dernier maillon d’une famille érudite où on est docteur de père en fils, comme, de père en fils, on s’appelle Héraclius Gloss. Il entend comme ses aïeux tout comprendre et ne craint nullement de refaire le monde au prix de hautes méditations où s’entrecroisent de fantastiques doctrines et hypothèses. Fort de cette pièce à conviction, il va donc pouvoir remonter le temps. Triturant en tous sens l’articulation fibreuse, il parvient à grand-peine à en extirper ce qu’il identifie de plus près comme un authentique anneau sigillaire en or où il reconnaît l’entrelacs d’un H et un G finement gravé en intaille de saphir. Abasourdi, il baisse les yeux vers son propre annulaire gauche et compare les dessins des deux bagues. Ils sont parfaitement identiques. Comment est-ce possible ? En un flash, il revoit défiler sous ces yeux toute l’histoire de sa généalogie depuis cet aïeul illuminé qui avait défrayé la chronique de Balançon et de tout le canton en séjournant par deux fois en l’asile des aliénés. Il commence à douter qu’il soit véridique qu’il y ait fini sa vie en compagnie de son principal ennemi Dagobert Félorme, l’homme qui contestait la paternité de sa découverte, prétendant avoir lui-même rédigé le fameux traité. Son ancêtre Héraclius de colère aurait fini par renier sa croyance en sa fumeuse théorie métempsycosiste.Une légende encore tenace dans la vieille ville affirme que ces deux-là se querellèrent à ce propos jusqu’à la fin de leurs jours entraînant chacun à leur suite une faction de tous les cinglés de l’établissement rangés par moitié derrière leurs opinions contradictoires. Le pauvre Pythagore lui, en chien fidèle n’avait pas varié la sienne même si son maître avait bien failli le truciderdans la confusion de son brutal revirement d’idée. Paraît qu’il aurait persisté jusqu’à sa mort à implorer en hurlant le retour de son maître bien-aimé sans jamais y assister, l’autre aliéné ayant choisi de clampser embastillé. C’est la brave Honorine, bonne un peu gourgandine qui peut-être pour se faire pardonner d’avoir causé l’internement de son maître-étalon avait continué à s’occuper de tous les animaux qu’en sa folie le docteur avait hébergé en leur demeure. Par fidélité elle aussi, usant de ses charmes pour s’assurer de la complicité de Monsieur le Notaire, elle avait élevé le bâtard dont son maître avait en sa fougue bien voulu gratifier son sein au rang légitime de fils de son géniteur. Nouvel Héraclius Gloss, fils de Héraclius Gloss et petit-fils de Héraclius Gloss. Appelé docteur comme son père et grand-père, il avait hérité de leur titre en même temps que de leur nom et leurs biens. Il ignorait être ainsi devenu le mouton alibi de cette pastourelle intrigante. Promue régente héritière et gardienne d’un lourd secret familial, elle comptait bien l’exploiter en passant sous silence que son inventeur l’avait lui-même renié au point d’en tuer son meilleur ami, ce foutu grand singe, maître de la maison devenu un temps maître du maître. Se chargeant d’instruire son rejeton en pure tradition métempsycosiste, elle alla jusqu’à entretenir la filiation canine des Pythagore en consanguinité assumée, laissant savamment sous le boisseau toute la partie de l’histoire qui pouvait discréditer la crédibilité de sa belle ascension sociale. Ceci explique le désarroi de Héraclius aujourd’hui. Persuadé de porter l’authentique chevalière de son illustre ancêtre, il ne risque pas de comprendre comment a pu en arriver une autre au doigt d’un macchabée anonyme ensablé comme une palourde avariée au pied de cette falaise si proche de sa demeure. Au premier regard, il a compris qu’elle était plus ancienne que la sienne et d’une facture indéniablement plus fine. Pas besoin de courir chez le père Bricolet au 31 de la ruelle des Vieux-Pigeons pour expertiser ce bijou. Il affirmerait sans coup férir que son quinquisaïeul Nicolas avait fourni l’anneau, la pierre et l’artisan au sien d’une façon toute naturelle. De fait, ils étaient tous deux en négoce quasi permanent au point même que parfois alors que la cloche du beffroi avait sonné neuf heures depuis longtemps, le brocanteur-bouquiniste retrouvait le pauvre docteur encore enseveli jusqu’à mi-corps dans des piles de bouquins où il cherchait la vérité philosophique.

— Pythagore, Pythagore. Décidément, tu me cacherais à dessein ce que tenait ce squelette inconnu. Je suis persuadé que tu y as découvert quelque chose que j’ignore. Un indice peut-être susceptible d’élucider enfin cette divergence tenace entre la rumeur locale et la tradition familiale. À défaut d’être honorable, cette dernière avait au moins le mérite de provenir d’Honorine témoin historique de la genèse de cette épopée qui devient aujourd’huirocambolesque. Allez, bouge. Fais pas ton chien. Viens là. Qu’est-ce que tu fous couché dans cette daube ? Approche.

Merde ! C’est pas vrai, ajoute le docteur en s’élançant vers Pythagore qui gît sur le flanc cinquante mètres plus loin dans une épaisse nappe de laitue de mer en décomposition.

Il se penche sur lui. Le bruit de son propre cœur en chamade l’assourdit. Il palpe en tremblant les côtes à travers les poils. Rien ne bouge. Pas le moindre frémissement. Une fine écume rosée obstrue les orifices de la truffe noire. Les dents ensanglantées enserrent toujours le goulot de la bouteille dont le fût a volé en gros éclats de verre contre un rocher. Des larmes se mettent à couler silencieusement sur ses joues embuant ses fines lunettes dorées. Il se prend la tête entre les mains, secoué par les sanglots. Couché sur le côté, visage enfoui dans les poils de son ami, son guide, son compagnon de tant de vies, il commence à sentir tout vaciller autour de lui. C’est alors qu’il distingue clairement et distinctement une voix qui lui dit : Regarde ce tube juste à côté de ta main, entre mes pattes. Tu ne reconnais pas ce petit ruban bleu. C’est le même que celui qui enserre si précieusement toutes tes enveloppes marquées Honorine dans ta cassette en bois de rosier. Je te parie que c’est une page du manuscrit qui parle de ce qui nous lie. Tu vois qu’il n’a pas été détruit. Il y a des années que je voulais te le dire, mais tu ne m’entendais pas.

Alors qu’il tente d’attraper la mystérieuse missive, une petite toux le secoue et sa respiration se raccourcit. Il suffoque brutalement, s’agite puis s’effondre le visage absorbé dans le putride magma verdâtre.

La nuit vient de tomber. Les gyrophares projettent des ellipses bleutées qui s’entrecroisent sur la craie de la falaise. La mer s’est retirée. Mouettes et goélands ont déserté. Même le vent est tombé. Les gendarmes s’agitent en tous sens, déroulent de longues rubalises jaunes qui portent l’inscription police technique et scientifique, zone interdite. Ils ont déterminé un vaste périmètre autour duquel se massent des curieux venus du bourg. Ça discute ferme dans les rangs. Pas étonnant qu’on ait trois morts sur la plage le même jour si près de Balançon… Depuis le temps qu’on leur dit d’arrêter de nous polluer avec leurs cochons. On se doit d’être là pour dénoncer l’immobilisme des autorités. Ça pue et ça craint de piétiner ici mais si personne ne dit rien, jamais ça ne changera.

Sous la grande tente blanche, un mini tractopelle manœuvre précautionneusement à la périphérie d’un tuteur qui a été fixé comme repère au squelette de la main.

— Molo les gars, il faut me le décaisser en un bloc. C’est fragile. Il n’est pas là depuis hier. Je ne sais pas si c’est un cold case ou si ça relève de l’archéologie. Alors vous ne me le pétez pas. On l’expertisera plus finement au labo. Lui au moins, il n’est pas mort à causes de ces putains d’algues. Ça donne quoi là-bas, le mec avec son chien. Vous avez fait tous les prélèvements. Il me faut des échantillonnages précis d’Ulva Amoricana avec les relevés des métrés par rapport au positionnement des victimes humaines et animales. La saison estivale ne va pas tarder à commencer, je ne vous dis pas le bordel médiatique auquel on va encore avoir droit. On n’a pas intérêt à se louper sur les aspects techniques de l’enquête.

— O.K, toubib. Mais en ce qui me concerne ça ne m’explique pas ce qu’il foutait là, ce clampin avec son chien. Et regarde ce que j’ai trouvé dans sa main.

Le commandant de gendarmerie brandit un sachet contenant une chevalière.

— Et alors ?

— L’anneau porte des traces de fibres en face interne qui semblent provenir de la phalange arrachée à ton squelette, faudra que tu vérifies au labo. En plus notre client porte à son annulaire une reproduction de la bague. Ça ne peut pas être une coïncidence. Il n’était donc pas là par hasard.

— Tu crois qu’il serait venu avec son clebs à la recherche de cette dépouille ? Parce que je suis formel. Ce sont les griffes du chien qui ont creusé le cratère et mis en évidence la main. Elles portent des signes d’usure abrasive récente. Il s’est mis les ongles au sang ce qui n’a rien arrangé à son intoxication au sulfure d’hydrogène. Seize portes d’entrées supplémentaires pour le toxique. Ça l’a empoisonné deux fois plus vite. Et l’identité du mec, vous avez pu l’établir ?

— C’est en cours. Il avait pas ses papiers mais figure-toi que le cabot est pucé, lui. On est en train d’interroger l’ICAD1. Je devrais avoir une réponse sous peu.

— En supposant que le mec est bien le proprio du clebs.

— Vu comme ils étaient intriqués, je n’ai pas trop de doute surtout que tu as affirmé que le chien était mort nettement plus tôt que son supposé maître.

— Et ton autre pièce à conviction, elle dit quoi ?

— Un truc de ouf ! Genre bouteille à la mer. Une feuille qu’il va falloir faire dater. À mon avis, elle a au minimum deux siècles. Elle parle de l’existence d’un manuscrit qui contiendrait le récit fidèle des transmigrations de son auteur dont le nom n’est pas cité. Elle s’intitule introduction à mes dix-huit métempsycoses, histoire de mes existences depuis l’an 184 de l’ère appelée chrétienne. Étrange parce que le cabot avait encore le goulot dans la gueule comme si c’était lui qui avait cassé la bouteille et le rouleau de papier n’avait pas été dénoué ni manipulé. Pour le moment, on n’y comprend rien.

— Toubib, ça y est. On l’a démoulé. Vous n’allez pas être déçu. Venez voir ça aussi commandant, ça vaut le détour.

— Merde alors ! C’est un crâne de grand singe et il est fracturé. Probablement la cause de sa mort puisqu’il n’y a aucune trace de cicatrisation osseuse. Je ne suis pas spécialiste, mais je parierai pour un Orang-outan vu la taille. Incroyable ce déguisement.

L’animal porte sur les épaules une longue robe de chambre en soie antique à grandes fleurs rouges et avait sur la tête un bonnet grec en velours noir brodé d’or.

— C’est daté aussi comme fringues ! lance le légiste.

— Allô ! Oui. C’est moi. Vous pouvez répéter plus doucement. Un griffon korthals mâle nommé Pythagore âgé de dix-huit ans. Propriétaire : Monsieur… quoi ? Héraclius Gloss. Drôle de nom ? Quelle adresse ? 30 Avenue Guy de Maupassant à Balançon. Parfait, je vous remercie.

— Alban, Alban, réveille-toi. Le téléphone. Une urgence.

— Merde, je dormais bien. J’étais en train de rêver à une histoire de dingue. Quelle heure, il est ?

— Minuit et demi. Tiens prends, c’est pour un cheval. Des coliques graves sur la Presqu’île de Giens.

1Fichier national d’identification des carnivores domestiques


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